January 13, 2025
Une conversation sur La Coupe Éthique au Canada, avec Emily Muller
Cette-ci est une conversation complète avec l’une des fondatrices de la Coupe Éthique au Canada, Emily Muller. Elle a été divisée en plusieurs parties qui seront publiées successivement sur ce blogue. La première partie explore l’origine et l’histoire du concours ainsi que la façon dont les cas sont préparés pour la discussion.

– Emily, d’où vient ta relation avec la Coupe Éthique? Qu’est-ce qui t’a poussée à t’impliquer dans cette activité, qui s’adresse aux jeunes en leur permettant de réfléchir aux choses importantes de leur vies?
Je travaillais en tant qu’enseignant vacataire à l’université du Manitoba, où je donnais des cours de philosophie, comme l’éthique et la société et la philosophie du droit. J’ai toujours aimé parler aux étudiants des questions d’éthique appliquée et de certaines des complications liées à l’application de la théorie et de la philosophie idéale dans le monde réel; établir ces liens et voir comment les étudiants remodèlent leur propre perception d’eux-mêmes dans le monde.
C’est à cette époque que j’ai rencontré Estelle Lamoureux. Elle avait déjà commencé à travailler avec des professeurs de lycée pour organiser des sorties scolaires afin qu’ils aillent rejoindre les équipes américaines qui participaient à la Coupe Éthique. J’ai eu l’occasion de lui parler de sa motivation et de son expérience. Ils avaient vraiment besoin de quelqu’un qui s’intéresse à l’éthique et à la philosophie pour les aider avec le contenu. J’étais bien placée pour le faire parce que j’étais à la maison avec mes enfants, j’avais le temps de faire du bénévolat et j’aimais l’idée de présenter ces cas aux étudiants. L’une des motivations pour fournir du contenu aux étudiants canadiens était que, bien que le fait de se rendre dans le Dakota du Sud et de parler avec les étudiants ait été très positif, les problèmes auxquels les Américains étaient confrontés étaient différents des canadiens. Les étudiants avaient un paysage différent, non seulement en ce qui concerne les préoccupations éthiques, mais aussi les outils éthiques, les politiques et les voies légales.
Il était donc logique de créer un concours permettant aux élèves canadiens de parler de leurs propres lois, politiques et problèmes. Je pense que depuis lors, il est de plus en plus important d’initier les lycéens à ce type de contenu, car ils sont submergés par Internet et par les nouvelles américaines. Même lorsque j’enseignais à l’université du Manitoba, certains étudiants, qui suivaient un cours de philosophie du droit, disaient : “La Déclaration des droits…, ceci ou cela”, et je devais leur dire : “Ce n’est pas vraiment ton droit. Ce n’est pas vraiment quelque chose qui te couvre”. Voilà pourquoi il est important que cette conversation canadienne se poursuive également. Ce contenu est la semence qui nous a permis de commencer à le faire nous-mêmes, au niveau de la rédaction des cas.

– Je pense que même si les questions éthiques peuvent être plus ou moins les mêmes, elles sont inscrites dans un contexte particulier.
Oui, juste pour avoir un cadre. Par ailleurs, nous avons abordé cette question: pourquoi est-il difficile d’avoir des conversations éthiques dans les salles de classe? C’est une question que j’étudie dans le cadre de mes études sur la paix et les conflits. Je pense que c’est difficile pour un certain nombre de raisons; mais les enseignants bénéficient vraiment de notre aide pour mettre en place une conversation qu’ils peuvent simplement introduire dans leur classe, plutôt que d’être complètement responsables d’élaborer le cadre de la conversation eux-mêmes. De plus, les élèves savent qu’ils auront l’occasion de parler de ce même contenu avec d’autres élèves. Comme on parle tout le temps d’éthique, cette structure – centrée sur un cas – est vraiment utile pour promouvoir le dialogue éthique et pour établir des conversations significatives.
– J’ai entendu dire que tu as rédigé certains cas. Je suppose qu’il n’est pas toujours facile de trouver des cas actuels qui pourraient être intéressants à discuter pour les étudiants. Comment se déroule ce processus? Quelle est la partie la plus difficile de la rédaction d’un cas, c’est-à dire, choisir des cas sur lesquels on est prêt à se plonger, à faire des recherches et à écrire?
Au début, c’était assez informel; nous essayions simplement de rassembler des paragraphes sur des cas pour donner aux enseignants un bon point de départ. Au fil des années, le concours s’est développé et a pris de l’ampleur, nous sommes devenus plus clairs sur notre processus, et plus rigoureux aussi. Nous appliquons différents éléments à la recherche des cas. Tout d’abord, nous examinons les objectifs de développement des Nations Unies et les questions générales relatives aux objectifs éthiques à l’échelle mondiale et, dans la mesure du possible, les manifestations nationales ou locales de ces objectifs au Canada.
Nous essayons également de nous pencher sur des questions qui touchent plus particulièrement les jeunes. En ce moment, dans les affaires régionales, on examine des offres pour changer l’âge du vote au Canada, en reliant cela à certains cas nationales et à d’autres endroits où ça veut être appliqué. Je cherche donc des choses qui pourraient inciter les adolescents à devenir des experts, des commentateurs sur des affaires qui les impliquent et qui les concernent. Cependant, dans les concours, on a constaté que les étudiants aiment vraiment les cas très classiques, ceux dont les gens débattent depuis toujours, comme le fait de savoir s’il est acceptable de mentir ou s’il faut être charitable. C’est pourquoi on essaie de proposer des cas qui ne sont pas dépourvus de contexte, mais qui sont en quelque sorte, universels dans leur application, et puis, on laisse les étudiants s’amuser avec eux aussi.
La plupart des commentaires qu’on reçoit indique que les étudiants apprécient la diversité des cas, car les équipes sont composées de toutes sortes de personnes différentes. Certains préfèrent les cas de la culture populaire, d’autres les cas éthiques purs et durs, comme ceux liés à l’amitié ou à la guerre. On prépare certains dossiers qui offrent des possibilités de recherche indépendante sur des questions médicales ou environnementales, par exemple. On propose une variété de cas dans chaque série afin de maintenir l’intérêt des étudiants et d’aborder l’éthique de différentes manières: des questions sur la bonne vie et la manière dont on peut la poursuivre ensemble; des questions qui impliquent une éthique basée sur le devoir, comme nos exigences les uns envers les autres; des questions de justice structurelle qui peuvent impliquer des préjudices plus indirects et leurs conséquences.
La rédaction des cas pour la Coupe Éthique Canada est maintenant produite et approuvée par un comité de bénévoles qui comprend des éthiciens, des enseignants et des étudiants de troisième cycle de tout le pays. Au fur et à mesure que le projet s’est développé, on a mis en place un processus beaucoup plus solide de partage des responsabilités pour la mise en forme, l’examen et l’approbation des cas. On coopère au niveau national et les cas développés sont également traduits en français. Il y a donc plus de processus en cours avec les dossiers qu’il n’y en avait auparavant. L’idée de simplement présenter des choses aux enseignants est devenue un peu plus rigoureuse, car on sait que les équipes utilisent vraiment les cas pour se préparer à une compétition de plus en plus exigeante. Les équipes ne cessent de s’améliorer. C’est un phénomène en pleine expansion.

“L’idée de présenter des documents aux enseignants est devenue un peu plus rigoureuse, car nous savons que les équipes utilisent vraiment les cas pour se préparer.“
Mais je pense qu’il s’agit d’une sorte de processus d’évaluation par les pairs…
Oui, l’une des choses qu’on fait au sein du comité est d’apporter un contenu de qualité aux enseignants. Ainsi, on demande à des chercheurs au Canada, à des musées, etc., de fournir un éventail encore plus large d’expertise et de matériel dans les salles de classe pour discuter des études de cas. Il y a de nombreuses façons de continuer à se développer et d’ajouter à nos compétences, en tant que comité, pour préparer les cas.
– Qu’en est-il des cas qui seront discutés en 2025 ? Pouvez-vous nous en parler à l’avance ?
Les dossiers régionaux sont déjà découpés et circulent, les équipes les ont donc déjà lus. La seule partie qui s’avère assez confidentielle, ce sont les questions qu’on pose dans le cadre du concours; et je ne pourrais pas les divulguer, même accidentellement, parce qu’elles n’ont pas encore été élaborées.
Je pense que les cas seront intéressants pour les étudiants. J’ai la chance d’avoir une adolescente qui participe au concours, ma fille. Elle est en dernière année au lycée Kelvin, qui a été demi-finaliste au niveau national; c’est une très bonne équipe. Je sais qu’ils sont intéressés et qu’ils dialoguent à propos d’eux. Comme je l’ai mentionné il y a un instant, l’un d’entre eux concerne le droit de vote. Une autre concerne l’interdiction de fumer pour les personnes d’un certain âge, afin que personne ne devienne dépendant de la nicotine.
Cependant, l’une des choses que j’attends avec impatience ne concerne pas les cas. Ce nouveau concours régional en 2025 compte avec un nombre d’étudiants encore plus important qu’avant au Manitoba, mais aussi dans l’ensemble du pays. Un bon nombre de ces cas seront donc utilisés plus d’une fois, car les participants se rencontreront dans le cadre de concours régionaux et de concours par étapes. Je pense qu’en Ontario, il arrive que des personnes qui se rendent au concours national ont déjà participé trois fois aux épreuves.
Veiller à ce que les conversations soient toujours différentes est une chose qui m’inquiétait au début, car il y a beaucoup de répétitions de cas et de matériel. Mais en fait, comme les concours ont des participants différents, ils ont généralement des questions différentes ausssi. Ainsi, les conversations finissent toujours par être variées, même si elles ont la même configuration. Il y a une grande marge pour explorer des cas grâce à la répétition, c’est pourquoi je suis très enthousiaste à ce sujet. On ne veut pas préparer autant de cas que des concours, car les étudiants n’auraient pas le temps d’en approfondir l’analyse et la recherche. Leur donner la possibilité d’avoir plusieurs conversations sur le même sujet est une expérience vraiment fascinante qui est en cours, et fonctionne jusqu’ici, mieux que prévu.
En plus de travailler avec la Coupe Éthique Canada et l’Association manitobaine des droits et libertés pour la Coupe Éthique, Emily Muller est conseillère philosophique à Winnipeg. Elle travaille également avec le Centre d’éthique professionnelle appliquée de l’Université du Manitoba et est doctorante en études sur la paix et les conflits.
Nicolas Dousdebes, Coordinateur de Communication – AMDL
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