June 7, 2024

Femmes racialisées: des liens entre les expériences de persécution de genre au Canada et dans les Caraïbes


Des gens participent à une manifestation contre la violence de genre et le féminicide
à Saint-Domingue, le 24 novembre 2019.

ERIKA SANTELICES/AFP/GETTY IMAGES

Le contexte

Bien qu’il s’agisse d’un problème important, en particulier chez les femmes racialisées, la persécution fondée sur le genre est rarement poursuivie en tant que crime contre l’humanité.

Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a récemment lancé une nouvelle initiative visant à faire progresser l’obligation de rendre des comptes et à poursuivre la persécution fondée sur le genre en tant que crime contre l’humanité. Cette initiative s’appuie sur la politique de 2022 sur le crime de persécution sexiste, qui définit la persécution sexiste comme « le crime contre l’humanité de persécution fondée sur le sexe, en vertu de l’article 7(1)(h) du Statut. La persécution fondée sur le genre est commise à l’encontre de personnes en raison de leurs caractéristiques sexuelles et/ou des constructions et critères sociaux utilisés pour définir le genre”. Le document examine ensuite les caractéristiques générales de la persécution fondée sur le sexe, sur la base de la mise en œuvre des droits de l’homme et du droit pénal international.

Bien qu’il s’agisse d’un problème important, en particulier chez les femmes racialisées, la persécution fondée sur le genre est rarement poursuivie en tant que crime contre l’humanité. La raison en est que les pratiques varient d’une juridiction à l’autre et d’un tribunal pénal international à l’autre. La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), bien qu’elle ait été signée par un très grand nombre de personnes, est l’instrument de protection des droits de l’homme qui comporte le plus grand nombre de réserves. Ces réserves, à leur tour, limitent l’efficacité du document et l’étendue de la protection accordée aux femmes dans leur État. En conséquence, la détermination politique autour du sujet s’est affaiblie et la persécution fondée sur le genre fait rarement l’objet d’enquêtes et/ou de poursuites sérieuses en tant que crime contre l’humanité, ce qui a empêché sa visibilité globale dans le passé comme dans le présent.

La persécution fondée sur le genre et ses racines coloniales

J’ai eu le privilège d’assister à une table ronde sur la persécution fondée sur le genre le 21 mai 2024, au Musée Canadien des Droits de la Personne, où nous avons écouté un panel composé de trois intervenants : Hilda Anderson-Pyrz, Brenda Gunn, et Shauna Labman. Ce qui a le plus marqué les participants, c’est l’importance accordée à la nature intersectionnelle de la violence et de la persécution fondées sur le genre.

La colonisation des peuples autochtones au Canada a jeté les bases de la manière dont les femmes autochtones sont traitées aujourd’hui, en normalisant les actes de violence à leur encontre et les attitudes de déshumanisation. Cette situation n’est pas seulement liée à l’épidémie de MMWIG2S, mais aussi à des facteurs socio-économiques tels que le lieu de résidence, les taux de violence domestique, l’éducation, les conditions de vie et l’absence de volonté politique pour s’attaquer à ce problème persistant. Les femmes autochtones continuent d’être victimes de persécutions liées au genre à un niveau systémique, alors qu’elles ne sont pas considérées comme des victimes aux yeux de la loi et de ceux qui la contrôlent. La racialisation des femmes autochtones contribue à leur persécution, et la compréhension de ces problèmes fondamentaux doit faire partie de la solution pour assurer leur protection; le recours à des pratiques de décolonisation est donc essentiel.

Statistiques : Entre 2009 et 2021, le taux d’homicide contre les femmes et les filles des Premières nations, des Métis et des Inuits était six fois plus élevé que celui de leurs homologues non autochtones. La police était moins susceptible de porter ou de recommander une accusation de meurtre au premier degré – le type d’accusation d’homicide le plus grave – lorsque la victime était autochtone (27 %) que lorsqu’elle ne l’était pas (54 %). Les accusations de meurtre au deuxième degré (60 %) et d’homicide involontaire (13 %) étaient plus fréquentes.

Les expériences des femmes autochtones au Canada m’ont fait penser aux expériences similaires vécues dans ma propre culture par les femmes caribéennes dans les Antilles. Leur racialisation et la domination sur elles, basée sur leur genre, découlent des mauvais traitements subis au cours de l’esclavage et de la servitude sous contrat, conditions de systèmes mis en place pour promouvoir la suprématie et la domination blanches. Bien que les Blancs soient minoritaires dans cette région du monde, les systèmes qu’ils ont mis en place, il y a des siècles, sont toujours maintenus par les hommes de couleur à l’heure actuelle, à travers une culture normalisée de machisme, de violence domestique, de féminicide et d’autres formes de violence fondée sur le genre, afin de maintenir le pouvoir et le contrôle sur les femmes, dont ils ont eux-mêmes été dépouillés sous la domination coloniale. C’est la raison pour laquelle la décolonisation est si importante pour aborder la question qui nous occupe; elles sont intrinsèquement liées et on ne peut discuter sur l’une sans aborder l’autre. La décolonisation est synonyme de libération pour tous et toutes, y compris pour ceux qui sont victimes de persécutions fondées sur le sexe, en plus de la racialisation.

Statistiques : Trois des dix premiers taux de viols enregistrés dans le monde se situent dans les Caraïbes. Alors que la moyenne mondiale est de 15 viols pour 100 000 habitants, les Bahamas affichent une moyenne de 133 viols, Saint-Vincent-et-les-Grenadines 112, la Jamaïque 51, la Dominique 34, la Barbade 25 et Trinidad-et-Tobago 18. Dans une enquête portant sur neuf pays des Caraïbes : 48 % des adolescentes ont été initiées à la sexualité de manière « forcée » ou « partiellement forcée ». Le rapport du PNUD sur le développement humain dans les Caraïbes indique que 30,4 % des femmes des Caraïbes déclarent craindre fortement les agressions sexuelles, contre 11,1 % des hommes. En outre, il indique que les crimes violents ont augmenté dans les Caraïbes et que cela s’accompagne d’une diminution des taux d’enquête des affaires et de condamnation.

Ce qui doit changer

Les femmes autochtones du Canada et les femmes racisées des Caraïbes ont un autre point commun : leur méfiance à l’égard des forces de l’ordre et du système judiciaire dans son ensemble.

Les femmes autochtones du Canada et les femmes racialisées des Caraïbes ont un autre point commun : leur méfiance à l’égard des forces de l’ordre et du système judiciaire dans son ensemble. Lorsque ces femmes signalent les crimes commis à leur encontre, elles sont souvent rejetées sur la base de stéréotypes liés à leur identité (les femmes autochtones sont considérées comme des toxicomanes ou des alcooliques incohérentes, les femmes caribéennes sont considérées comme têtues et provocatrices, et méritent donc les mauvais traitements). Cette tendance à ne pas considérer les femmes de couleur comme des victimes idéales, ce qui constitue en soi une autre forme de persécution, contribue à la poursuite de la violence perpétrée à leur encontre et favorise en outre une culture du silence sur le sujet. Les victimes sont moins enclines à se manifester, sachant que la loi ne prendra pas leurs plaintes au sérieux.

En fin de compte, c’est la raison pour laquelle une coopération à de nombreux niveaux est nécessaire pour faciliter le changement. La mise en œuvre de pratiques de décolonisation et d’éducation dans les systèmes des États, qui permettent d’explorer les causes profondes de la violence au sein de ces groupes raciaux et ethniques, combinée à une formation de la police basée sur la culture, à une collaboration politique et à une intervention internationale, est nécessaire pour rétablir la confiance au sein de ces communautés. Le rétablissement de la confiance signifie que davantage de victimes se sentiront autorisées à se manifester, et l’enregistrement de ces persécutions contribuera à créer un environnement plus sûr dans lequel la violence et la persécution fondées sur le genre seront considérées comme des crimes graves contre l’humanité.


Talia Mohammed (Elle/Elle),
Étudiante en stage à MARL de l’Université du Manitoba (2024)

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